Alphonse Karr : Clotilde

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Alphonse Karr : Clotilde

J’aime la nuit. A cette heure, l’homme qui veille possède à lui seul tout ce que, le jour, il lui faut partager avec tout le monde.
La lune est à lui avec ses bleuâtres clartés.
C’est pour lui seul que les acacias ouvrent leurs petites cassolettes blanches pleines de parfums.
A lui tout seul est cette belle voûte bleue du ciel avec ses étoiles d’or.
Et les chants mélancoliques du rossignol dans les chèvrefeuilles en fleurs.
Et, comme si ce n’était pas assez encore d’hériter ainsi, pendant plusieurs heures, de tous les gens qui dorment, le poète qui veille voit pour lui la nature se remplir de créations nouvelles.
Les peupliers deviennent une longue file de grands fantômes noirs.
Le vent, dans les feuilles, lui dit des choses plus belles que la poésie et la musique n’en peuvent exprimer.
Les ombres de ses journées lui apparaissent, et ses amours morts se réveillent et viennent peupler avec lui cette terre dont il est le roi – jusqu’au jour.
Les vers luisants s’allument dans l’herbe comme les étoiles dans le ciel.
Tout se pare et s’embellit.
La nature, qui se trouvait suffisante le jour pour tous les hommes réunis, revêt pour le poète seul de plus magnifiques atours. C’est que le monde entier, c’est la foule; le poète, c’est l’amant…

citation du jour

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